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RUFISQUE – DEVELOPPEMENT LOCAL : Les femmes se heurtent aux «arêtes» du budget munIcipal

Point de convergence pour des centaines de femmes à Rufisque, Ndeppé est célèbre comme espace de transformation de produits halieutiques. Mais quand vient l’heure de débattre des affectations du budget municipal, ce ne sont que des promesses qui tombent.

 

Impossible de se perdre en chemin. De loin, l’odeur du poisson fumé ou séché guide les pas des visiteurs. A l’entrée d’un entrepôt vétuste, assises sur des bassines ou des bancs de fortune, des femmes devisent, indifférentes aux tas d’immondices qui jonchent les lieux et à l’odeur fétide qui empuantit l’air. Drapées de boubous défraichis, foulards noués à la va-vite sur la tête, un grand pagne autour de la taille, elles affichent des airs de femmes de labeur. Certaines s’activent autour de la fumerie de poisson, dans un décor qui renvoie à un patchwork négligé. Sur la berge, la fumée âcre enveloppe d’autres femmes de tous âges, occupées à décortiquer le poisson. La sécherie artisanale de Ndeppé, à quelques encablures du quai de pêche de Rufisque ouest vit ainsi à longueur de journée. Elle fait vivre des centaines de femmes et leur famille, contribue au développement local de la commune, mais quand le budget de la municipalité tombe, Ndeppé sombre dans le néant. Aucune ligne, rien que des promesses.

La date d’installation de la sécherie se perd dans les mémoires. On vous dira «depuis des décennies», sans aucune précision. On vous dira aussi que quelque 200 femmes s’y activent. Astou Mbengue est l’une d’elles. Teint noir de jais, forte corpulence, la dame d’une cinquantaine d’années est vêtue d’un tee-shirt et d’un pagne dépareillés. Quelques mèches de cheveux dépassent de son foulard et c’est avec un accent lébou prononcé qu’elle conte les difficultés de ses camarades du «Domaine», ainsi qu’elles appellent le lieu. «Depuis des dizaines d’années rien n’a changé. L’Etat, à travers le ministère de la Pêche, avait pourtant initié un projet de modernisation du site, avec notamment l’installation de fours modernes. Ils avaient dit que le projet allait durer sept mois. Mais cela fait bientôt un an qu’ils ont commencé et les travaux sont à l’arrêt. On ne sait pas pourquoi», lance-t-elle sur un ton de dépit. A ses côtés, Ndiaré Ndiaye qui totalise plus de dix ans de métier, poursuit : «Si le domaine était réhabilité et bien équipé on verrait l’expérience et le savoir-faire qu’il y a ici. Nous avons juste besoin d’être soutenues pour travailler convenablement, dans un cadre décent.»

A la mairie de Rufisque, le soutien espéré par les transformatrices traverse chaque année les budgets sans jamais laisser de traces. Président de la Commission des pêches, El Hadji Malick Bâ ne porte que des promesses dont la prochaine échéance attend le budget suivant. «Dernièrement, confie-t-il, nous nous sommes réunis avec l’ensemble des Gie qui gèrent le quai de pêche, dont celui des transformatrices. Le maire a exprimé sa disponibilité et sa volonté de les aider. Il a même promis de déployer du personnel à son compte sur le quai de pêche, qui travaillera pour le Gie. Par ailleurs, dans les orientations budgétaires de 2017 (ou 2018 ?), une rubrique a été inscrite pour soutenir les acteurs de la pêche. On est en phase préparatoire et le montant n’est pas encore défini. Mais il n’y a pas que les femmes de Ndeppé, il y a aussi les mareyeurs et les pêcheurs. La mairie va les appuyer et les aider à mieux se former. Nous avons tenu des réunions et il ne reste plus qu’à finaliser avec le Service départemental des pêches».

 

Pas dupes - La dame Ndiaré, « bonnet Cabral » noir vissé sur la tête, ne s’en laisse pas compter pour si peu. Le verbe haut, elle lâche : «Récemment il y a eu un incendie ici. Beaucoup de dégâts matériels. Ni le maire ni aucun agent de la mairie ne sont venus s’enquérir de notre situation. Ce n’est qu’en période d’élections que les politiciens viennent draguer l’électorat féminin. Ils viennent nous faire des promesses et s’en vont. Mais nous ne sommes pas dupes, nous savons ceux qui nous soutiennent. Le moment venu, nous votons pour eux.» Au «Domaine», les femmes ont fini de se faire une raison : le maire Daouda Niang étant de l’opposition et sachant que les transformatrices sont proches du pouvoir, «il ne fait pas grand-chose». Mais qu’a cela tienne. Il ne faut pas compter sur leur Gie pour remplir les cars et aller applaudir les politiciens.

Le leitmotiv est de ne pas servir de bétail électoral et de voter selon des intérêts bien compris. «Nous sommes conscientes que si nous voulons être soutenues il faut que l’on fasse de la politique, lâche Astou Faye. Ceux qui doivent nous soutenir font de la politique et veulent être appuyés. Mais ce qui importe le plus pour nous, ce sont nos activités. Même si on doit faire de la politique, ce serait pour le développement de notre Gie et de notre commune. L’équipe municipale actuelle n’a rien fait pour nous. Elle ne s’intéresse même pas à notre activité et c’est déplorable. Heureusement que le ministère de la Pêche nous a secourues avec le projet de modernisation du site. Aujourd’hui la sécherie doit être mise aux normes internationales, afin que l’on puisse exporter nos produits. Les travaux que l’Etat a commencés ont un peu freiné notre activité. Les femmes sont dispersées, mais on espère que lorsque tout sera fini, notre situation va s’améliorer.»

Président du quai de pêche, Pierre Mboup, confirme les complaintes des femmes et dénonce : «Les autorités ont tendance à mettre en avant l’aspect politique pour ne s’occuper que de ceux qui sont de leur côté. Seul l’ancien maire Badara Mamaya Sène nous avait octroyé une subvention. Mais nous avons espoir que les difficultés vont diminuer d’ici peu. L’Etat prépare un financement avec le Fonds koweitien. L’aire de transformation va être modernisée et mise aux normes européennes. Les travaux ont démarré et les fondations faites, mais l’entrepreneur attend de recevoir l’avance de démarrage pour poursuivre». En plus des fours qui seront construits, il est aussi prévu une case de santé et une garderie d’enfants. 

A la mairie, M. El Hadji Malick Bâ met du bémol sur les critiques et souligne que «20% des bénéfices du quai de pêche reviennent à la mairie, 20% vont au Gie et les 10% sont un fonds de formation. Les 50% restants représentent un fonds de réserve, géré par le Gie et la mairie, pour permettre de faire des investissements. Chaque mois, le Conseil d’administration de l’ensemble des Gie se réunit, avec des représentants de chacune des structures, pour évaluer le travail et les ressources générées. Le président fait ensuite un compte-rendu à la mairie. La politique de l’Etat, c’est de retourner aux acteurs de la pêche les ressources provenant du quai de pêche. En 2016 par exemple, les 20% des bénéfices du quai que la mairie a reçu s’élèvent à environ 950 000 F. Cela vous donne une idée sur le montant des recettes».

 

Tenir la barque - Entre le poisson fumé, le poisson séché, le cymbium et les crevettes, les femmes de Ndeppe parviennent à tenir la barque. La caisse de sardinelle peut leur revenir entre 4 000 et 12 000 F selon les périodes d’abondance ou les temps de crise. Et les ventes se font en fonction de la marge bénéficiaire qu’elles cherchent à obtenir. «Toutes les femmes que vous voyez ici sont des chefs de famille. Elles soutiennent leurs époux dans les dépenses quotidiennes. La majorité d’entre nous payons nous-mêmes les frais de scolarité de nos enfants», fait savoir Astou Mbengue. Raison de plus pour revendiquer des «égards» dans l’élaboration d’un budget municipal qui, en 2017, s’est élevée à somme de 6 milliards 684 millions 305 495 F, dont 5 milliards 368 millions 969 378 F, en fonctionnement, et 1 milliard 315 millions 336 117 F CFA, en investissement. En somme les charges de l’institution municipale grèvent l’enveloppe et d’autres urgences paraissent plus importantes pour elle. En 2016, par exemple, quelque 100 millons de francs avaient été affectés à l’achèvement de la construction du stade Ngalandou Diouf.

Le Commissaire à la pêche de la mairie rejette cependant toute idée de désintéressement des femmes. «Je n’ai jamais vu une lettre ou une demande de soutien venant des femmes de Ndeppé adressée au maire, note El Hadji Malick Bâ. N’empêche, le maire est en train de mettre en place un système pour apporter un appui annuel à ces femmes. Nous travaillons à budgétiser ce montant. Parallèlement le ministère de la Pêche et de l’Economie maritime a initié un important projet de modernisation et de réhabilitation du site de Ndeppé. Ce qu’on essaie de faire, c’est encadrer les femmes pour leur permettre d’accéder aux financements pour développer leur activité et amplifier leurs revenus. Donc la mairie a la volonté, mais pour certaines choses il faut s’asseoir autour d’une table avec les concernés et en discuter ensemble. J’avoue qu’auparavant il n’y avait pas d’actions à cause d’un manque de communication entre les Gie et la commune, mais les choses sont en train de s’arranger. Les femmes sont peut-être impatientes, mais les projets sont en cours, le maire est disposé à appuyer tous les acteurs de la pêche.»

Cela cependant des décennies que les femmes de Ndeppe s’activent dans cette aire de transformation qui attend toujours de trouver enfin l’attention qui lui permettrait de répondre à l’intensité des activités économiques qui s’y déroulent. Notamment pour ces centaines de femmes que les ressources halieutiques font vivre et qui, quelque part, font vivre Rufisque.

Adama DIENG 

(Avec le soutien de l'Institut Panos Afrique de l'Ouest)