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Rôle et place des femmes dans les partis politiques : Un engagement à rude épreuve

Malgré l’instauration de la parité au Sénégal, les femmes continuent de subir une certaine discrimination, notamment au sein des partis politiques. Très souvent, elles sont défavorisées par rapport aux hommes, pour diverses raisons. Laissées en rade, leur engagement en pâtit et nombreuses parmi elles finissent par quitter la politique pour évoluer vers d’autres secteurs. Ngoné Ndoye et Awa Guèye Kébé, deux anciennes ministres, partagent leurs expériences.

 

Elle a refusé de se faire humilier. Investie 34e sur la liste nationale de la Coalition gagnante Wattu Senegal (dirigée par l’ancien président Abdoulaye Wade), pour les législatives du 30 juillet 2017, l’ancienne député Aida Gaye a dit non à ce qu’elle considère comme un affront. «Je viens de tirer les conséquences de mon humiliation au Parti démocratique sénégalais (Pds). Avec le travail que j’ai fait depuis notre défaite en 2012, je ne mérite pas d’être investie 34e sur la liste nationale de la coalition.» Sa démission a été rapportée par tous les media.

Militante de la première heure du Pds, depuis les jeunesses travaillistes, responsable des femmes libérales de Touba, Aida Gaye a claqué la porte du parti, le cœur empli de déception. Les investitures pour les élections législatives du 30 juillet prochain ont montré à quel point les femmes sont souvent peu prises en compte dans les sphères de décision des partis politiques. Se sentant lésées, à la limite trahies et humiliées, certaines ont préféré abandonner. A l’image de Aida Gaye, l’ancienne sénatrice Aminata Sokhna Thiam a également démissionné de son parti, pour ainsi exprimer son mécontentement à la suite des investitures. Membre fondatrice de la Convergence démocratique Bokk Gis Gis de Pape Diop, (ancien président de l’Assemblée nationale et ancien maire de Dakar), Aminata Sokhna Thiam a mis un terme à son compagnonnage avec ce dernier, s’estimant trahie et victime d’un manque de considération parce que n’ayant pas été investie.

Un rôle en question. Ces actes relancent le débat sur le rôle et la place des femmes dans les partis politiques. Le constat est que la plupart du temps, celles-ci ne jouent pas de rôles déterminants dans les instances politiques. Toujours derrière les hommes, elles ne sont souvent là que pour animer la galerie et assurer la mobilisation. Leurs tentatives d’émerger se retrouvent parfois très vite étouffées dans l’œuf. Une situation qui tend à altérer leur engagement, comme l’illustre les cas de Aida Gaye et Aminata Sokhna Thiam.

Mais pour l’ancienne ministre et responsable du Pds, Ngoné Ndoye, ce sont les femmes elles-mêmes qui se sont confinées dans ce rôle. «Généralement c’est l’homme, le leader, qui va vers les femmes parce qu’elles sont porteuses de voix, sont respectées et connues dans le quartier. Et quand un homme vient leur demander leur soutien, naturellement elles le soutiennent et ne veulent pas prendre sa place, elles n’y pensent même pas. C’est ça l’explication.» De plus ajoute-t-elle, « les femmes étudient rarement un manifeste ou un programme du parti, notamment dans les partis de masse. Elles n’ont pas fait d’études la plupart du temps et se limitent le plus souvent à l’animation du parti ».

Ancienne ministre de la Famille et de la solidarité nationale, Awa Guèye Kébé, estime que même si la confection des listes est réglée par la loi sur la parité, des clichés défavorables aux femmes affectent les compétitions internes dans les partis. «Dans bien des cas, ce sont les femmes elles-mêmes qui ne se présentent pas aux compétitions, préférant soutenir leur frère au détriment d’une sœur à cause des rivalités. Dans d’autres, les leaders ne les promeuvent pas car ils les perçoivent comme n’étant pas suffisamment endurantes pour le poste à pourvoir.»

Ancienne maire de la commune de Rufisque-Est, Ngoné Ndoye avoue que c’est en révolte à ce fait qu’elle est entrée en politique. «Quand j’étais au lycée, je voyais mes parents faire de la politique avec feu Mbaye Jacques Diop. A la descente j’allais les retrouver à la permanence du parti, et au fur et à mesure je voyais et entendais des choses qui ont commencé à m’intéresser. Ce qui m’a le plus intéressée c’est qu’il y avait beaucoup de femmes et de jeunes, mais à chaque fois que le directoire se réunissait il n’y avait que deux femmes tout au plus. Il n’y avait que des hommes dans le bureau exécutif, alors qu’il y avait beaucoup de femmes qui mobilisaient et animaient le parti, qui cotisaient pour les activités. Cela m’intriguait, je me demandais pourquoi elles ne siégeaient pas ? C’est comme ça que je suis entrée dans la politique. Je me disais que nous devions être à l’exercice, savoir et comprendre comment les choses se passaient.»

Mais de l’avis d’Awa Guèye Kébé beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, faisant passer  les femmes de l’animation des partis à la prise de décision. «De plus en plus de femmes dirigent des partis ou coalitions de partis politiques, souligne-t-elle. Elles sont numériquement bien représentées dans les assemblées électives et semi-électives. Cependant, force est de reconnaitre qu’au niveau des instances nationales et décentralisées de prise de décision des partis, leurs effectifs sont très faibles.» Faiblement représentées, leurs préoccupations sont également peu prises en compte. Mais l’ancienne ministre dans le gouvernement du président Abdoulaye Wade estime que cela dépend de la nature des préoccupations exprimées. «A mon sens, la prise en compte des perspectives des femmes est fonction de plusieurs facteurs. D’abord, le style de leadership des dirigeantes et ensuite la présence des femmes dans les instances de prise de décision des partis, explique-t-elle. Or, nous avons tous noté que la consolidation du leadership des dirigeantes est très souvent polluée par des rivalités itératives, malsaines et inhibitrices d’initiatives en faveur d’un meilleur positionnement.»

La formation, une nécessité. Tout au long de sa carrière politique, l’ancienne sénatrice Ngoné Ndoye a tenté de trouver des réponses et des solutions aux interrogations qui l’ont poussée dans la politique. «Dans les partis, les femmes exécutent mais ne décident pas. Ce sont elles qui mobilisent, qui animent, elles s’engagent et quand une décision sort du bureau politique, elles l’exécutent en premier. Elles font de grandes choses, mais au moment de décider, les hommes le font toujours à leur place.» Sur ce point, Awa Guèye Kébé est d’avis qu’il apparait clairement que la sous représentation des femmes dans les directoires mixtes des partis politiques est la situation la mieux partagée dans toutes les chapelles politiques, du fait qu’elles ont leur propre espace de paroles, notamment les mouvements de femmes. Une tendance qu’il faut renverser en misant sur la formation des femmes, estime l’ancienne sénatrice libérale Ngoné Ndoye. Car malgré l’instauration de la parité, les femmes butent encore sur beaucoup d’obstacles. «Nous avons eu une avancée avec la parité dans les instances de décision électives, mais à l’expérience on s’est rendu compte que nous sommes charriées, parce que beaucoup disent que les femmes sont venues dans les instances sans pour autant être préparées, regrette-t-elle. Et souvent elles sont freinées par le complexe du français et de l’éloquence. Elles ont parfois des choses à dire, des choses pertinentes, mais elles ne se prononcent pas. Pour dire que les femmes sont aussi handicapées par elles-mêmes. Il faut changer cela, et c’est dans les partis et lieux de travail que cela doit se faire.»

Un point de vue partagé par Awa Guèye Kébé : «Il est clair que la loi sur la parité bouscule forcément la configuration des assemblées politiques et balise la voie de l’accès des femmes aux instances de décision, mais elle reste insuffisante,. Il faut mettre l’accent sur la formation des femmes, des membres des partis, des acteurs sociaux et culturels ainsi que des institutions pour faire émerger un nouveau référentiel socioculturel, porteur de la transformation souhaitée.» Elle ajoute qu’il faudrait mettre en œuvre le programme d’accompagnement retenu après l’adoption de la loi, par la consolidation et la mise en œuvre des missions de l’Observatoire national de la parité.

Docteur en Science politique, Maurice Soudieck Dione, estime que les femmes jouent un rôle important, essentiel et décisif dans les partis politiques, elles sont des militantes chevronnées, rompues aux tâches de mobilisation et d’animation. Mais «elles doivent être plus impliquées dans les activités de réflexion et de proposition pour les programmes et projets politiques, car elles sont concernées par tous les problèmes de la société et peuvent apporter des idées cruciales à travers un regard autrement pertinent que celui des hommes, analyse-t-il. Malheureusement la réflexion n’est pas le fort de la plupart des partis politiques, plus intéressés par les règles pragmatiques de conquête du pouvoir. En définitive cela ne peut constituer qu’une richesse que les femmes puissent participer à toutes les activités qui sont celles d’un parti politique.» En d’autres termes, les formations politiques sont davantage préoccupées par la conquête du pouvoir que par la prise en charge des desiderata des femmes, fussent-elles des membres à part entière desdites formations.

Parité contre obstacles culturels. Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Dr Dione souligne par ailleurs que juridiquement les femmes ne sont pas défavorisées, notamment avec la parité qui a permis leur représentation plus grande à l’Assemblée nationale. «Mais culturellement, il y a encore du chemin à faire pour mieux installer dans l’imaginaire collectif l’idée que les femmes, sur le plan politique, peuvent être aussi compétentes que les hommes, explique-t-il. C’est un processus qui est en train de mûrir, et le fait que de plus en plus de femmes puissent accéder à des postes de responsabilité et qu’elles puissent s’acquitter avec brio de leurs missions, est de nature à faire évoluer la situation.» Un avis appuyé par Ngoné Ndoye : «Nous avons besoin d’accompagner cette loi, de mieux la valoriser et ne pas la mettre en compétition avec certaines règles de notre société ou de notre culture. Il faut la protéger parce que les femmes sont très intelligentes et très stratèges, et nos pays ont besoin d’elles. Il ne faut pas chaque fois que nous perdions des femmes de valeur, sous des prétextes d’élections ou autre.» Pour elle, les femmes sont défavorisées partout, elles sont lésées parce qu’être femme apparait comme un handicap quand elle dispute quelque chose à un homme.

Sur la même lancée, Awa Guèye Kébé souligne que le référentiel socioculturel renferme des normes et croyances qui entretiennent dans l’imaginaire collectif, des perceptions défavorables au meilleur positionnement des femmes dans la sphère politique. «On retrouve le schéma patriarcal sur la scène politique, les carcans dans lesquels ils sont moulés font que les hommes se voient comme des leaders naturels et les femmes, du fait de leur rôle social, se complaisent à une certaine condescendance. Donc tant que cette perception demeure, la loi sera appliquée sans conviction.»

Retrait. Engagée dès son plus jeune âge, Ngoné Ndoye a finit par tourner le dos à la politique, après plusieurs années de militantisme et des déceptions accumulées. «J’ai eu trop de problèmes, il y a des armes non conventionnelles qu’on utilise en politique, et je pense être une femme vertueuse et correcte, simple et très ordinaire, avance-t-elle. Je ne me bats pas contre mes frères ou mes sœurs. On passe plus de temps avec ses frères et sœurs de parti qu’avec sa propre famille, mais il arrive un temps où vous ne voyez personne, vous n’entendez personne, vous voyez la froideur des rapports entre les gens. Vous vous rendez compte que vous vous êtes lourdement trompé.» Sans vouloir trop revenir sur le détail des raisons qui lui ont fait quitter son parti, le Pds, et la politique en général, Ngoné Ndoye précise qu’elle n’a pas de regrets tout de même. «Ce ne sont pas des regrets, je suis juste désolée, parce que la fonction politique est noble.»

Même si elle a abandonné la politique, l’ancienne maire était pourtant investie sur les listes électorales pour les élections législatives du 30 juillet 2017. Elle était deuxième sur la liste nationale de la Convergence patriotique pour la justice et l’équité (Cpje), dirigée par le député Demba Diop dit Diop Sy. Une implication qu’elle explique par la nécessité de créer des lois relatives à la migration. Ancienne ministre des Sénégalais de l’extérieur, Ngoné Ndoye a en effet mis en place depuis 4 ans, une association nommée Femidec (Femmes, enfants, migrations et développement communautaire), qui a pour objectif de contribuer à une meilleure intégration de la dimension genre dans les politiques migratoires, afin d’apporter des réponses appropriées aux besoins spécifiques des femmes sénégalaises et de leurs enfants, notamment émigrés. «J’ai été maire de la collectivité où je suis née et j’ai vu des jeunes braver la mer pour partir ou amener d’autres jeunes en Espagne, nous avons perdu beaucoup de nos fils, frères, neveux… à cause de l’émigration clandestine, explique-t-elle. Partant de tous ces constats, j’ai créé l’association Femidec, avec des hommes et des femmes, victimes ou parents de victimes. Nous nous battons pour qu’ils puissent vivre malgré les difficultés, c’est ça qui nous a amenés sur une liste indépendante, parce qu’il y a des lois qui doivent accompagner ces personnes défavorisées.» S’étant éloignée de la scène politique, l’ancienne responsable libérale s’est reconvertie ainsi dans le militantisme social et le développement économique. Avec sa branche économique dénommée Ham Dan, Femidec aide de jeunes Sénégalais à trouver du travail au Sénégal, à travers la promotion de l’artisanat notamment, au lieu de partir à l’aventure à l’étranger.

Contrairement à Ngoné Ndoye, Awa Guèye Kébé, qui a milité au Pds depuis son plus jeune âge, n’a pas complètement quitté la politique, elle s’est juste éloignée. «Je me considère comme étant toujours dans le champ politique car depuis 2012, j’ai choisi de me déployer dans la formation politique et je travaille, à ce jour, avec et pour des partis libéraux du Sénégal et de la région ouest africaine.» Le champ politique se révèle être une véritable jungle où les femmes sont minoritaires et se heurtent à la suprématie des mâles. Nombreuses sont ces dames qui, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, ont abandonné la politique pour intégrer d’autres sphères.

ADAMA DIENG