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Polygamie et violences conjugales : Briser l’omerta sur les drames familiaux

 

 

La polygamie est devenue une règle au Niger. L’Islam l’autorise et la législation le permet. Mais derrière cette pratique sociale on ne compte plus les abus et le martyr des souffrent les femmes. Souvent en silence, jusqu’à ce que tout explose.

 

Derrière presque chaque portail de maison au Niger, des violences silencieuses ont cours. Au rayon des victimes, des femmes qui supportent le martyr d’une vie commune entre mari et coépouses. Car si la polygamie est répandue dans la société nigérienne, son vécu est des plus difficiles. Les  femmes en parlent peu, subissent brimades et privations, mais il arrive qu’un jour tout éclate. Selon l’Institut National de la Statistique (INS), plus d’une femme sur trois vit dans un ménage polygame et cette proportion augmente avec l’âge des femmes. Chez les 15-19 ans, seules 14% sont concernés  par ce type d’union alors que chez les 45-49 ans, ce sont plus de la moitié (56%) des femmes qui se retrouvent au minimum avec une coépouse. Une vie pas de tout repos. Le chemin est encore long pour soulager les femmes, mais des pistes commencent à dessiner le chemin à suivre.

Au quartier résidentiel Recasement de Niamey, l’Ong Femmes et Enfants Victimes des Violences Familiales (FEVVF) s’active. Ses centres d’écoutes son éparpillés dans Niamey, où des femmes viennent échanger sur leurs difficultés. Coordinatrice de la structure, Mme xxxxx confie qu’on y rencontre «la peur, la dépression psychologique, les conséquences de l’isolement, etc. Beaucoup d’histoires tournent au drame ou au divorce. Il est temps que les autorités adoptent des mesures préventives contre ces actes de violence contre les femmes. En attendant, le gouvernement doit renforcer les espaces d’écoute pour les femmes».

Zalika Ibrahim est de ces femmes qui cherchent à tourner le dos à leur détresse. Dix ans après sont divorce elle a tenté de refaire sa vie, mais des larmes lui coulent aux yeux quand elle se rappelle les menaces, les manipulations, le «manque de tout». D’origine malienne, âgée de 45 ans, elle vit à Niamey depuis près de 25 ans. Un quart de siècle qui l’ont vue mettre au monde deux filles et deux garçons. Ces deux derniers sont mariés et c’est avec leur soutien qu’elle a réussi à remonter la pente. «Certaines familles vivent la polygamie sans problème, mais pour moi ce fut difficile. Ma coépouse et moi on se battait sans arrêt. Je me souviens de son premier jour à la maison. Mon mari revenait de voyage après être allé voir ses parents. Il était rentré avec une petite fille. Pour moi c’était une nièce qu’on lui avait confiée. Mais dès ce premier soir j’ai eu un choc quand il alla tranquillement passer la nuit avec elle, me laissant entendre qu’elle était sa femme». Pour Zalika Ibrahim, le monde a commencé à s’effondrer. Mais le pire était à venir.

 

Manque de tout

 

Dans leur attitude soumission, nombre de femmes prennent la polygamie comme «chose normale». L’essentiel est de le vivre dans une atmosphère dénuée de tension. Ce qui n’est pas toujours le cas. «Mon mari et ma coépouse ont commencé à monter mes enfants contre moi. J’avais tout supporté, mais là c’était trop. J’ai même fait une dépression nerveuse. Il m’a beaucoup frappé et ne me donnait plus rien. Comble de malheur, une pluie torrentielle a détruit notre maison. Je me suis alors retrouvée dans le hangar qui abritait les animaux. Mais j’avais au moins mes enfants. Ce sont eux qui, avec l’aide de leurs amis, ont pu nous construire un abri. Je me suis décidée à le quitter. Je suis partie et il ne vient plus me voir. Je fais ma vie avec mes enfants». Zalika Ibrahim a pu se faire accueillir dans la maison que partagent ses deux fils avec leur femme, mais une telle solution n’est pas offerte à tout le monde.

Dans une communication faite devant la 57e Commission des Nations Unies en 2013, la ministre de la Population, de la Promotion de la femme et de la Protection de l’enfant notait : «II ressort d'une étude réalisée en 2008 que les abus et violences à I'égard des enfants et des femmes sont persistants et pour plusieurs d'entre elles sont parfois tolérées par la société. De même, le faible statut que la société a tendance a assigner aux femmes et aux enfants, les expose aux violences de toutes sortes. A titre d'exemple, les violences physiques constituent 43% de 1'ensemble des violences basées sur le genre perpétrées, suivi des violences sexuelles dans les proportions de 28,3%, des violences psychologiques pour 17,1 %, des violences économiques pour 6,6% et enfin des violences culturelles pour 4,8%. D'autres études révèlent que dans leur grande majorité, les auteurs de ces violences sont des hommes (93,4%) ; ils sont souvent des hommes mariés âgés de plus de 25 ans, sans aucun niveau d'instruction, liés aux victimes par les liens de mariage dans 72% des cas, ou faisant partie du cercle familial ou de la communauté. Les victimes quant à elles, sont en majorité des femmes mariées, âgées de moins de 25 ans, sans aucun niveau d'instruction, et sans source de revenus».

Quand la violence conjugale s’installe, les femmes tentent de supporter. Pas question de porter l’affaire devant la justice. Renfermée sur leur malheur certaines souffrent toute leur vie. Zalika a tenté de se faire une raison : «Certaines te disent que porter plainte contre le père de ses enfants ne se fait pas. En plus cela ne  rapportera rien». Dans nombre de cas c’est même une histoire de femmes. Dans cette guerre entre coépouse, le mari ne fait qu’attiser le feu par ses parti-pris. Parfois aussi la belle-famille s’en mêle.

 

Quatre ans d’enfer

 

«Quand le chef de famille prend une autre épouse, par choix personnel ou sous pression familiale, il ne consulte pas sa première femme. L’autre débarque du jour au lendemain et les relations s’enveniment vite. Vivre dans un espace aussi restreint qu’une maison ne peut qu’entraîner des conflits». La polygamie, Mme Aissa Ali la vit depuis 4 ans. «Quatre ans d’enfer, confie cette sexagénaire. Pour mon mari, avoir deux trois ou quatre femmes a toujours été un rêve. Jardinier de profession, il pense qu’il lui faut une grande famille pour avoir de la main d’œuvre. Mais derrière cette vision se cachent les réalités d’un quotidien difficile. Quelques jours après sa dernière nuit de noces, les rivalités ont commencé avec ma coépouse. Depuis lors la tension est devenue permanente dans le foyer». Dans cette ambiance délétère, les violences psychologiques sont permanentes. Qu’elles viennent du mari ou des autres épouses. «J’ai six enfants. De grands garçons et filles. Certains sont mariés. Je n’espérais qu’un mari responsable et équitable. Mais il se range du côté de ma rivale et je vis constamment sous la hantise des pratiques mystiques. Je dors à peine la nuit. Depuis que je me suis réveillée une nuit en sursaut pour la voir dans ma chambre, je ne veux pas être surprise. J’ai failli la tuer et mon mari l’a répudiée. Mais elle est revenue un an plus tard, tellement préparée au plan mystique que mon mari fait tout ce qu’elle veut».

Sociologue à l’Université Abdoul Moumouni Dioffo de Niamey, Maman Sani Janjouna explique cette passivité des femmes par les rapports sociaux qui ont fini de dessiner les rôles et places des uns et des autres. «Il y a une forme de soumission et cela se transmet aux enfants. Dès lors, il est difficile de voir les choses changer. Le mariage se ramène à une forme de transfert de paternité. La fille, après avoir appartenu au père, laisse place à une femme propriété d’un mari qui pense pouvoir en disposer comme il veut. Beaucoup d’entre-elles pensent qu’avec l’amour et la patience tout finit par s’arranger. Malheureusement la situation empire le plus souvent. Surtout quand certaines violences tiennent à des raisons particulières, avec des maris alcooliques ou qui gèrent mal le stress qu’engendrent par la pauvreté et le chômage pour démissionner devant leurs responsabilités en tant que chef de famille».

Devant la 57e Commission des Nations unies, la ministre soulignait : «Si ces violences prévalent encore c'est du fait de leur enracinement dans les comportements sociaux dus au faible statut souvent confèré à la femme, de leur légitimation par la coutume et d'interprétations erronées des préceptes religieux.  De plus, la juxtaposition de règles qui régissent l’état des personnes a savoir le droit moderne, les coutumes et la religion accroit l’insécurité juridique des femmes et des enfants parce que selon les circonstances, on choisit l'une ou l'autre règle au détriment de la femme. Les violences persistent également du fait de 1'ignorance par les victimes elles mêmes de leurs droits et des dispositions légales existantes, les difficultés d'accès aux services juridiques et judiciaires, leur dépendance économique et leur analphabétisme».

Dans une société nigérienne où l’islam régule les normes de vie, les hommes cherchent toujours le justificatif de leurs comportements dans ce qu’ils estiment être des recommandations de la religion.  Secrétaire général de l’Association Faouziyan, Oustaz Moustapha Ahoumadou explique que «le mariage est un contrat de confiance justifié d’abord par un consentement de la femme. Le verset 3 de la sourate «Les femmes» souligne aussi que s’il est permis d’épouser deux, trois ou quatre femmes parmi celles qui vous plaisent, c’est avec l’obligation d’être juste envers elles. Allah (SWT) a dit si vous craignez d’être injuste, une seule parmi ces quatre vous suffit. Après avoir épousé une femme contentez-vous de vos esclaves. Epousez des esclaves que vous possédez afin d’amoindrir les coûts liés au mariage, et là elles vous seront soumises quels que soient les problèmes».

Aïssa Abdoulaye Alfary

(Réalisé avec le soutien du projet «Femmes occupez les media» de l’Institut Panos Afrique de l’Ouest