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MME NDÈYE MARIE DIÉDHIOU, PRÉSIDENTE DE LA PLATEFORME DES FEMMES POUR LA PAIX EN CASAMANCE : «Les actions audacieuses que nous avons déployées ont fini de convaincre…»

« Avec l’avènement de la Plateforme des Femmes pour la Paix en Casamance (Pfpc), les initiatives des femmes casamançaises dans le processus de paix vont prendre une nouvelle dimension ». La déclaration est de la présidente de la Plateforme qui fait le point dans cet entretien sur le rôle des femmes dans le processus de la recherche de la paix en Casamance. Et, c’est pour annoncer que le Pfpc va peu à peu donner aux femmes le statut d’acteur incontournable, tant sur le plan national qu’international.

 

Comment analysez-vous le rôle des femmes dans la recherche de la paix ?

L’implication des femmes dans la résolution du conflit en Casamance n’est point un événement nouveau. En effet, à partir de 1990, des voix féminines ont commencé à s’élever pour décrier la situation et exprimer tout haut ce que beaucoup parmi les populations casamançaises pensent tout bas : tourner la page de ce conflit harassant. Des initiatives pour rompre l’omerta imposée par les porteurs d’armes et poser publiquement le débat de la paix vont être mises en œuvre ainsi que des actions d’envergure plus probantes. Parmi celles-ci, on peut citer les plus notoires comme La marche pour la paix des femmes de Nyassia sous l’égide de l’ONG Kagamen en 1990 et le Forum des Femmes pour la paix en 1999. Ce Forum consacrera la naissance du Comité Régional de Solidarité des Femmes pour la Paix en  Casamance/USOFORAL qui verra cinq de ses membres dont deux femmes des bois sacrés originaires de Badiana et de Mongone, prendre part pour la première fois aux négociations entre le MFDC et l’Etat du Sénégal dénommées Banjul 2 en décembre 1999. Il en est de même pour le Forum des Femmes organisé par Kabonketor en 2003, voire le programme de renforcement des potentialités des Femmes pour la promotion d’un Leadership Féminin fort en Casamance mis en œuvre par Usoforal comme la grande marche blanche en 2002 à Ziguinchor.

Que marque, selon vous, l’irruption de la Pfpc dans le processus pour la paix en Casamance ?

Avec l’avènement de la Plateforme des Femmes pour la Paix en Casamance (PFPC), les initiatives des femmes casamançaises dans le processus de paix vont prendre une nouvelle dimension qui va peu à peu nous donner le statut d’acteur incontournable, tant sur le plan national qu’international. Les actions audacieuses que nous avons déployées ont fini de convaincre le monde sur notre détermination à bâtir cette paix. De l’audit des candidats à l’élection présidentielle de 2012, à la table ronde des acteurs du processus de paix en Casamance, en passant par les rencontres communautaires, les femmes ont marqué de leur empreinte le processus de recherche de la paix en Casamance. 

Leurs récentes initiatives vont réussir à décloisonner le conflit en amenant ce débat au-delà du cadre casamançais. Elles vont ainsi contribuer à la conscientisation du reste du territoire national sur la nécessité d’une implication des Sénégalais de tous bords dans la quête de la paix à travers des ateliers délocalisés, des journées de mobilisation et de plaidoyer pour la paix en Casamance, des plans d’action par région et par USOFORAL. Aujourd’hui cette question est devenue une préoccupation nationale prise en charge tant par les organisations et associations de la société civile, les chefs coutumiers et religieux, que par les citoyens des 14 régions du Sénégal. Elle est même prise en charge au-delà de nos frontières par nos voisins des républiques sœurs de la Gambie et la Guinée Bissau à travers les organisations de la Société Civile de ces deux pays, surtout les Organisations Féminines.

D’ailleurs, la formalisation du Forum des femmes de l’espace Sénégal – Gambie - Guinée Bissau tenu le 20 septembre 2017 à Ziguinchor, a posé les jalons d’une alliance des femmes de la Sénégambie méridionale. Un cadre non encore organique qui se veut être un accélérateur du processus de Paix en Casamance, mais également un instrument contribuant à la stabilité et la paix de notre espace sous-régional. Nous l’avons vu à l’œuvre lors de la récente crise post-électorale en Gambie, notamment à travers son plaidoyer pour une solution non violente et ses initiatives de médiation entre le Président élu Adama Barrow et le Président déchu Yayah Jammeh. Avec les femmes des autres pays, nous avons effectué une mission de solidarité avec l’appui de la Cedeao. Par ailleurs, nous avons mis en œuvre d’importantes actions de sensibilisation et de lutte contre ces violences et ouvert le premier centre d’accueil et d’écoute qui accompagne et prend en charge gratuitement les femmes et filles victimes de violences en Casamance. Aujourd’hui, nos voix comptent et malgré nos différences, nous sommes unies dans notre foi en ce combat qui est juste, un combat pour une Casamance apaisée où les populations jouissent de leur plein droit à la paix et au développement.

Est-ce que le point de vue des femmes est pris en compte par l’Etat et le MFDC ?

Nous apprécions à juste titre les différentes rencontres d’échanges qui ont eu lieu entre la Plateforme des Femmes pour la Paix en Casamance (Pfpc) et l’Etat ou entre la Pfpc et le Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (Mfdc). Ce qui signifie que les deux parties en conflit nous reconnaissent comme interlocuteurs valables de la cause des populations. Nous savons aussi que l’Etat tout comme le Mfdc suivent les activités que nous menons. Le dialogue est enclenché avec chaque partie et même bien avancé. Il s’agit maintenant de maintenir ce rythme des rencontres. Nous sommes de ceux qui ont réclamé l’arrêt des violences et notre cri de cœur a été entendu. Nous avons gagné au moins le respect et l’écoute de l’Etat et du Mfdc. Nous continuons à nous déployer sur le terrain pour recueillir les suggestions et les besoins des populations en vue de la prise en compte effective des préoccupations des femmes et des jeunes à la table de négociation.

Comment analysez-vous la couverture de vos activités par les médias ?

C’est le lieu ici, de saluer l’engagement de la presse locale à nos côtés. Les radios comme la presse écrite, répondent à toutes nos invitations et les informations sont bien relayées. Cependant, malgré toutes ces actions d’envergure que nous entreprenons, jamais nous ne sommes à la Une des journaux. Les articles qui portent sur les activités de recherche de la paix sont souvent classées en second plan : entre deux articles ou parmi les faits divers. Dans le meilleur des cas, c’est lorsqu’un drame se produit en Casamance que la presse en fait des choux gras. Les populations sénégalaises devraient être largement informées du travail gigantesque qu’abattent les Organisations de la Société Civile en général et les Femmes en particulier dans la résolution de la crise en Casamance.  Il urge que les Sénégalais de tous bords comprennent qu’il s’agit là d’un problème sénégalais et qu’ensemble, nous devrions trouver des solutions définitives et inclusives.  Il nous faut reconnaître que la Plateforme des Femmes manque aussi d’agressivité, il est temps que nous comprenions que nous avons à gagner la bataille de la communication pour une prise en compte totale de notre point de vue par l’Etat et le MFDC. Cela signifie que nous devons maintenant aller davantage vers les médias.

 

MME AWA GUEYE KEBE, ANCIEN MINISTRE DE LA FEMME SOUS LE REGIME LIBERAL «La mobilisation des femmes a été à l'origine du rapprochement…»

 

«Les organisations des femmes ont pris beaucoup d'initiatives pour rapprocher les différents protagonistes. Cela, à travers l'organisation des marches, des cérémonies de libation au niveau des différents bois sacrés, rapprochées des organisations gouvernementales. Mais, toutes ces démarches reflètent le rôle naturel de la femme. Dans la communauté, le plus souvent, ce sont les femmes qui s'activent dans la résolution des conflits familiaux ou communautaires. Maintenant, le véritable défi est la question du positionnement stratégique en tant qu'acteur de la recherche de la paix. Ce qu'elles ont eu faire jusqu'ici, à interpeler tout le monde notamment les gouvernants et les membres du

Mfdc. Je pense que leur mobilisation a été à l'origine du rapprochement noté actuellement entre les différents protagonistes qui ont pu se retrouver autour d’une table pour discuter. Chaque fois qu'on désigne un homme de la situation, je pense qu'il serait indiqué de voir quelle mesure une femme peut être dans le dispositif central chargé de la résolution du conflit.

Nando Cabral Gomis