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L’Ucad... ses filles et la politique 

Le sort des femmes sénégalaises évoluerait difficilement si certaines d’entre elles, anciennes pensionnaires de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, ne s’étaient pas engagées à changer le regard trop réducteur que la société a de leur engagement en politique. Que de pionnières se sont battues et ont inspiré de jeunes étudiantes, lesquelles cherchent à pousser la lutte encore plus loin. La dernière campagne électorale pour les élections législatives du 30 juillet 2017 a été un excellent terrain de prédilection pour ces étudiantes. Ainsi, en collaboration avec l’Institut Panos, Pressafrik.com a cherché a savoir ce qui fait courir ces étudiantes.

 

Vendredi 21 juillet 2017, il est 19 heures 21 minutes, devant le domicile de Me Madické Niang sis à Fann Résidence. A neuf jours des élections législatives, Nafissatou Touré, tee-shirt aux couleurs du Pds et casquette bien vissée sur la tête, revient d’un après-midi électoral mouvementé avec Me Abdoulaye Wade, tête de liste de la Coalition Gagnante Wattu Senegaal. Après plusieurs appels manqués et de rendez-vous reportés, on peut enfin mettre la main sur cette étudiante en Master 2 de Droit public à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). Très sollicitée, la préposée à la formation au sein du Mouvement des Elèves et Etudiants Libéraux (MEEL) se la joue occupée avec les journalistes.

En plus des ses responsabilités au MEEL, Sego, comme l’appellent les intimes, assure plusieurs fonctions. Vice-présidente de la Commission féminine de l’Union des jeunesses travaillistes libérales (UJTL), chargée du CLC de Sicap Liberté, membre du Comité directeur et du Secrétariat national du Pds, Nafissatou Touré est aussi élue locale à la Commune de Sicap Liberté. « C’est très difficile pour une femme de faire son trou en politique. On est confronté à beaucoup de jalousie, on est souvent la cible de quolibets… Ce n’est pas évident», raconte cette inconditionnelle de Wade. Qui confesse avoir été transformée dans la moule universitaire: «C’est en première année à l’université que j’ai réellement commencé à militer. J’ai d’abord été déléguée syndicale à l’Amicale de la Faculté de Droit, ensuite au Mouvement des Elèves et Etudiants Libéraux (MEEL)… Mais c’est au sein de l’institut de formation du Pds et dans la Fondation Naumann (fondation allemande en faveur des politiques libérales, en partenariat avec le Pds) que j’ai été formée pour devenir une vraie militante active.»

 

’"Qand les études en font les frais’’

 

Titulaire d’un Bac+5 en Droit public, Nafissatou Touré a pourtant failli laisser son engagement politique saper ses études supérieures. Sa fougue de jeune militante active a, par moments, ralenti son parcours universitaire. Elle paiera son militantisme par deux années universitaires. « En première et deuxième année, j’ai perdu le fil de mon cursus universitaire à cause de mon engagement politique. C’était très difficile d’allier vie syndicale, vie politique et études. Les deux premières me prenaient beaucoup trop de temps et je reconnais avoir négligé mes études», confie celle qui était en 33e   position sur la liste nationale de la Coalition Gagnante Wattu Senegaal.

Deux jours plus tôt, en face de l’imposant bâtiment de l’école Machalla au quartier Liberté 6 Extension, rendez-vous était fixé avec Nogaye Mbaye, 27 ans et 2e sur la liste de Bénène Baat Bou Bess (Ndlr : une nouvelle voix en wolof). Etudiante en Msc Innovation, Design, Entrepreneurship à l’Ecole Centrale Lyon et EMLYON, Nogaye Mbaye est revenue au Sénégal, pour battre campagne, mais également développer son projet « Nola ». Lequel est concentré sur la recherche et le développement de l’Agro-business au Sénégal. Sa motivation n’a rien à voir avec les idéaux d’un tel leader politique. Nogaye est là pour barrer la route à ceux-là qui veulent, selon elle, se servir de la diaspora. « Mon engagement citoyen et patriotique a pris une tournure politique pour diverses raisons. D’abord, dans le contexte de ces Législatives, après le Référendum (Ndlr : celui du 20 mars 2016 remporté par le OUI avec 62,5% des voix), les Sénégalais de l’Extérieur ont eu le droit d’avoir des députés à l’Assemblée nationale. La première chose est qu’on ne doit pas accepter qu’on instrumentalise ces députés de la diaspora. C'est-à-dire, ne pas laisser ceux qui sont au Sénégal, choisir pour nous Sénégalais de l’Extérieur. Ensuite, c’est une porte d’entrée pour participer aux affaires de la cité. Parce qu'enfin faire de la politique, c’est plus ou moins ça », considère-t-elle.

 

‘’Non à la parité, oui à l’équité’’

 

Très tôt formée dans le milieu scout, Nogaye Mbaye en garde encore quelques beaux restes sur son look. Rastas bien tenue par un serre-tête, chemise bien rentrée dans un pantalon jean assorti de chaussures Vans, elle dégage, à première vue, des airs de révolutionnaire. Son avis sur la loi sur la parité, en application depuis le 28 mai 2010 au Sénégal, renseigne davantage sur sa personnalité. «Je ne crois pas à cette histoire de parité, mais à l’équité. En tant que femme, si je suis devant, c’est parce que j’ai les capacités pour y être. Donc, il ne faut pas qu’on me regarde comme quelqu’un qui est juste là parce qu’il faut une femme à côté d’un homme», clame-t-elle.

Si le temps où la femme ne servait qu’à mobiliser n’est pas totalement révolu, les germes du changement commencent à éclore. La nouvelle génération de militantes est bien outillée pour bousculer les codes établis par une société très misogyne. Chantre de l’équité, Nogaye Mbaye trace la voie à imposer à la société. « Vu le contexte social au Sénégal, ce n’est pas facile pour une femme de se hisser devant les hommes. En général ici, on nous balance à la figure : les femmes sont là, elles sont bien pour mobiliser. Mais je me bats contre ça. Je n’impose rien et ne réclame aucun droit. Il s’agit juste de faire comprendre à ces hommes que leur regard peut changer. Je dis aux gens : ne voyez pas mon statut de femme, voyez juste mon statut de personne apte à pouvoir diriger. C’est ce que j’appelle un leadership naturel et ça passe », se défend celle qui était venue représenter la diaspora.

 

Pas élue, mais pas découragée

 

Après les résultats définitifs des législatives du 30 juillet dernier, leur déception n’est en aucun cas lié à leur non élection pour la 13e législature. Leur engagement, au contraire, s’en trouve renforcé par les échéances futures et leur envie de laisser leur empreinte. « Mon engagement politique s'est renforcé si je peux le dire ainsi. Je ne suis certes pas élue députée mais je reste plus que jamais convaincue que le Sénégal a besoin de rupture politique. Le changement est un processus et le résultat ne peut pas être immédiat. J'ai encore du chemin à faire. Ce qui me motive à me battre davantage contre ce système qui nous tue à petit feu », avance Nogaye Mbaye, deuxième sur la liste « Bénène baat bu bess ».

Sa camarade de la Coalition gagnante Wattu Senegaal, embouche la même trompette. « L’engagement politique ne se résume pas à une élection. Moi, j’ai d’autres charges à remplir au sein de ma formation. Ce qui témoigne de la confiance que le parti a en moi. Et puis, l’échéance 2019 (la Présidentielle) est là », lâche Nafissatou Touré, qui.

 

«la nouvelle génération de cible des politiques»

Entrée en politique juste avant les législatives du 30 juillet, avec le mouvement des jeunes activistes, membres de la Coalition citoyenne pour le changement (Les 3 C) « Non au mur-Contre les APE », qui étaient partis en coalition avec Ndawi askan Wi de Ousmane Sonko, Mame Diarra Kane a décidé de se retirer provisoirement du champ politique, après les élections. Elle veut se donner le temps de réfléchir pour trouver peut-être un cadre adapté à son activisme.Titulaire d’un Master 2 à l’Institut Africain de Management (IAM), elle n’a jamais été intéressée par la politique durant son cursus universitaire. Mais c’est son activisme et son influence dans les réseaux sociaux, qui en ont fait d’elle une cible idéale pour les leaders politiques. Cette bloggeuse et spécialiste en Communication digitale compte près de 6000 followers (abonnés) sur le réseau social Twitter. Et dans le monde des Tic, ça compte. « Je suis souvent contacté par des hommes politiques pour me demander de rejoindre leur parti mais je n'étais pas intéressée. C’est la Coalition citoyenne pour le changement, qui regroupe de jeunes activistes et bloggeurs, qui m’a convaincue à entrer en politique », dit-elle, avant de reconnaître sa déception liée aux résultats des élections, mais surtout au système.

 

Haoua Dia Thiam, symbole d’un militantisme de conviction

Ancienne de l’Ucadanciennes de l’Ucad engagées en politique, une a particulièrement attiré notre attention. C’est la présidente de la Commission Santé de l’Assemblée nationale (sous la 12e Législature). Dans l’entretien vidéo qu’elle nous a accordé à son domicile. Haoua Dia Thiam retrace son parcours de femme politique toujours engagée pour la cause féminine. Elle révèle faire partie des étudiantes qui ont mené le combat pour mettre fin à l’interdiction de la cité Claudel aux hommes. Si aujourd’hui, les hommes peuvent franchir le poste de garde de cette partie du campus de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar pour rendre visite à leurs amies, sœurs, filles ou proches, c’est grâce à elle et à quelques-unes de ses camarades étudiantes, qui, à l’époque, avaient décidé de mettre un terme à ce qu’elles considéraient comme une « bunkerisation » de la cité Claudel. Cette ex-militante du parti de gauche And Jef/PADS, ancienne ministre sous la présidence de Me Abdoulaye Wade, a mené, du début à la fin, la lutte pour la parité dans les institutions sénégalaises jusqu’à sa promulgation intervenue le 28 mai 2010. (voir la vidéo en fin de page)

 

L'Université de Dakar, le début du commencement…

 

Grenier de diplômés, l'Université Cheikh Anta Diop a formé et continue de former plusieurs femmes leaders politiques. De tous les parcours visités, celui de l’ancienne ministre sous le magistère socialiste, Ndioro Ndiaye est des plus achevés. Née le 6 novembre 1946 à Bignona (Sud du Sénégal), Ndioro Ndiaye est médecin de formation. Après des études à l’Université de Dakar, la jeune Ndioro part à Bordeaux puis à Paris, et devient des années plus tard  l'une des deux premières africaines reçue à l'agrégation de médecine. Précédemment chef du département d'Odontologie et de Stomatologie à l'Université Cheikh Anta Diop, c’est en 1988, qu’elle sera nommée ministre du Développement social sous le magistère du président Abdou Diouf. Le conflit Sénégalo-mauritanien, qui éclate en 1989, la met à l’épreuve. Ministre, elle coordonne des opérations humanitaires et recherche des solutions pour les réfugiés, tant sénégalais que mauritaniens. C'est en 1995 qu’elle quittera définitivement le Gouvernement pour l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) comme Directrice générale adjointe (1999 à 2009).

Elle aurait pu devenir la première femme sénégalaise chef de Gouvernement. Mais cette distinction, le destin l’avait déjà réservé pour une autre ancienne étudiante de l’Université de Dakar, Mame Madior Boye. Saint-louisienne de naissance et issue d'une famille de juristes, l'ex PM finit son cursus secondaire  au lycée Faidherbe, et intègre la Faculté de Sciences juridiques et économiques de l'Université de Dakar en 1963. Elle poursuivra sa formation au Centre national d'études judiciaires (CNEJ) de Paris2 (devenu École nationale de la magistrature). Aucun militantisme politique à son actif, Mame Madior Boye est nonobstant nommée ministre de la Justice en avril 2000 dans le premier gouvernement libéral, puis Premier ministre le 3 mars 2001 à la suite de la démission de Moustapha Niasse. Elle sera remerciée le 4 novembre 2002 en raison de sa prise de position suite au naufrage du Joola en septembre 2002.

Il y a aussi eu Awa Marie Coll Seck, l’actuelle ministre de la Santé. À la fin de ses études de médecine, elle réussit un concours d’internat des hôpitaux de Dakar en 1975 et obtient son doctorat en médecine en 1978. En 1979-1980, elle passe une année au service de réanimation des maladies infectieuses de l’Hôpital de la Croix-Rousse de Lyon en qualité d’assistante à titre étranger. De retour au Sénégal, elle obtient respectivement en 1982 et 1984 ses diplômes de spécialisation en Bactériologie – Virologie et en Maladies Infectieuses et Tropicales à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Rappelée par le président Abdoulaye Wade en 2001, alors qu’elle servait aux Nations-Unies depuis 1996 au sein du programme conjoint de cette instance sur le VIH/SIDA (ONUSIDA), elle est nommée ministre de la Santé et de la Prévention, entre 2001 et 2003. Grâce à son action, de grandes avancées ont été réalisées dans le secteur de la santé notamment la réforme hospitalière, le Programme Elargi de Vaccination (PEV), la lutte contre le paludisme, le Sida, les maladies non transmissibles etc.

Pr Awa Marie Coll Seck ne reviendra définitivement au pays que pendant la campagne présidentielle de 2012 aux côtés de l’Alliance pour la République (Apr) du président Macky Sall. Depuis l’accession à la magistrature suprême de ce dernier, elle est redevenue ministre de la Santé et de l’Action sociale.

 

Le militantisme dans l’enceinte universitaire

 

Si les pionnières se sont d’abord occupées de garnir leur CV de diplômes avant de s’engager véritablement en politique, la nouvelle génération n’attend pas l’accomplissement du cursus universitaire pour s’engager. La faute à une floraison de structures politiques implantées au sein du campus dans le but de traquer les plus à même de vendre leur idéologie dans le milieu étudiant.

Ancien Secrétaire général du Mouvement des élèves et étudiants libéraux (Meel), le député et ancien ministre (sous le règne de Wade), Modou Diagne Fada est une voix autorisée pour parler du recrutement des étudiantes dans les partis politiques, depuis l’université. Dans un entretien vidéo, de près d’un quart d’heure, il révèle les techniques utilisées par le mouvement de son parti d’alors (le Pds) pour intéresser les filles du campus universitaires à la politique. Il renseigne également sur les motivations des unes et des autres au sein du mouvement qu’il dirigeait