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L’Algérie terre d’installation pour les migrants

Ils sont des centaines de migrants subsahariens dont les enfants sont...Peintres en bâtiment, couturières, maçons..., les migrants subsahariens en Algérie sont les travailleurs de l’ombre. Ils payent leurs loyers et participent à l’économie du pays. Déterminés, certains d’entre eux s’installent pour une longue durée malgré les difficultés et le vide juridique qui les privent de statut.

«Après avoir vécu deux ans au Maroc, j’ai trouvé une nouvelle maison en Algérie. Je travaille depuis plus d’un an comme professeur de français et d’anglais dans une maison privée du côté de Dely Ibrahim (banlieue ouest d’Alger)», raconte Valérie*, Camerounaise. Elle a mis ses compétences linguistiques au service de son nouvel employeur. «La femme qui m’emploie m’avait repérée l’été dernier chez une coiffeuse qui m’avait engagée pour faire des tresses africaines à de petites filles. Une fois par mois je me déplaçais au salon de coiffure situé à Chéraga. J’étais payée 2200 DA par mois.» Aujourd’hui, Valérie semble satisfaite de son nouveau salaire puisqu’elle est payée trois plus ; elle se dit chanceuse d’avoir trouvé cet emploi, mais ses yeux trahissent son sourire puisqu’elle est consciente qu’elle pourrait avoir bien plus si elle était dans un cadre mieux réglementé. «Je me contente de ce salaire, car il me permet de manger et de payer le loyer de ma chambre. Mon employeuse se comporte bien avec moi et m’offre même des vêtements d’occasion que je distribue parfois à des compatriotes», dit-elle.

Valérie a pour projet d’amener ses enfants - qui ont treize et huit ans - restés au Cameroun avec leur grand-mère à Douala. «Je devais venir au Maghreb et partir en Europe chez mon frère. Il a réussi la traversée il y a cinq ans, il a même un emploi stable. Je rêvais de le rejoindre», nous dit-elle. Le frère de Valérie a passé trois ans à Oran, ensuite il a rejoint l’Espagne après plusieurs tentatives dangereuses de traversée de la Méditerranée, pour enfin rejoindre l’Italie.

Valérie sous-loue discrètement sa chambre à Marie Anne, une ressortissante du Congo qui a trouvé de petits emplois, notamment dans une salle des fêtes. «Je me fais discrète, je lave tout ce qu’on me donne et je rentre chez moi. Ici, les gens n’aiment pas me parler et je ne comprends pas l’arabe, alors j’évite d’être trop loquace.» Marie Anne souffre d’une allergie due à l’utilisation de l’eau de javel et d’autres produits détergents. Depuis qu’un dermatologue l’a examinée, elle met des gants pour sortir dans la rue, elle s’en amuse presque : «Quand je poste des photos de moi sur Facebook, ma famille pense que je me blanchis la peau avec des produits. J’en ris, car je n’ai presque pas de quoi me nourrir. Je ne veux pas les inquiéter, ils le sont déjà assez», pense-t-elle.

Il n’existe pas de statistiques précises ; cependant, selon les associations et les ONG, ils sont plus de 100 000 migrants subsahariens vivant en Algérie. Ils sont invisibles, travaillent au noir, payent des loyers et des écoles privées pour leurs enfants souvent nés en Algérie. Cependant, les migrants subissent les pires violences et le racisme qui remettent en question notre rapport à l’étranger, à l’autre. Raphaël a 23 ans, c’est un jeune Guinéen fan de foot. il vivait depuis un an à Ouargla où il avait trouvé un emploi comme apprenti peintre : «En réalité, je touchais même à l’électricité et d’autres travaux dans le bâtiment. Je gagnais presque 16 000 DA. J’arrivais à envoyer de l’argent à ma grande sœur et ses enfants restés au pays», nous dira-t-il. Lassé par l’attitude de son employeur, l’hiver dernier Raphaël s’est installé à Alger dans le quartier de Bab Ezzouar. «Je pense que mon patron en avait marre de la musique que j’écoutais», dit-il en riant, tapant sur son visage, voulant insinuer qu’en réalité c’était pour sa couleur de peau et sa religion.

Mosquée

Le tatouage d’une croix chrétienne est visible sous son oreille. «Les enfants de mon patron ne me parlaient jamais, pourtant ils avaient le même âge que moi. Un jour, j’ai demandé à aller à la mosquée, ils ont cru que je voulais me convertir ! J’étais juste curieux de voir à l’intérieur. Mais ici, les mosquées ce n’est pas comme les églises, on ne peut pas y pénétrer. Pourtant, c’est la maison de Dieu, non ?»  se demande-t-il. Aujourd’hui, il se dit heureux de vivre à Alger. «Je me sens mieux, car ici si je me blesse je peux aller voir un médecin, je peux me connecter à partir d’un cybercafé sans que l’on me dévisage à chaque fois», fait-il remarquer.

Pour Hocine Labdelaoui, chef de l’équipe «Migrations et Mobilités» et directeur de recherche associé au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread), «la présence des étrangers en Algérie révèle que cette présence tend à s’inscrire dans la durée, ce qui nous pousse à travailler sur l’hypothèse de l’évolution de l’Algérie en un pays d’immigration. L’Algérie accueille des migrants de transit, d’installation également. La société ne pourra pas se refermer sur elle-même», ajoutant que «son intérêt est de s’ouvrir sur d’autres cultures en acceptant les étrangers.»

Viol

Si certains chercheurs et universitaires traitent du statut des demandeurs d’asile et des migrants, il n’en demeure pas moins que la violence reste la seule réponse dans le vide et le flou juridiques. «Je ne comprends pas comment l’Algérie n’arrive toujours pas à faire valoir les droits des migrants, alors que c’est un pays qui peut offrir de grandes opportunités pour ces populations qui sont forcées de quitter des foyers de tension», s’interroge Kamel Djaballah, avocat et militant des Droits de l’homme. «Je travaillais dans un cabinet privé, quand un jour un policier est venu demander conseil à mon confrère. Une femme voulait porter plainte contre son employeur pour tentative de viol, mais elle était sans-papiers et n’avait aucune preuve. J’ai immédiatement voulu entrer en contact avec elle pour voir ce qui se passait réellement dans cette usine. Une histoire sordide qui concernait plusieurs migrantes, et le pire c’est que les autorités ne pouvaient rien faire si ce n’est démanteler cette usine clandestine de chocolat aménagée dans une villa à l’ouest d’Alger», témoigne Kamel. «A mon avis, les autorités algériennes devraient mieux surveiller ce qui se passe en banlieue, parce que certains se cachent dans des villas pour commettre leurs crimes, pendant que d’autres complices étouffent l’affaire à chaque occasion», ajoutera-t-il.

Kamel Djaballah mène discrètement ses recherches afin de recenser le nombre d’affaires de viols et d’agressions sexuelles sur les migrants, en particulier sur les femmes et les enfants. Il travaille sur un manuel de survie qu’il fera traduire en trois langues, en collaboration avec une association marocaine de défense des Droits de l’homme.

Tolérance

En 2015, le cas de Marie Simone D. a pulvérisé le tabou du viol à l’encontre des migrantes. Violée par huit individus à l’est d’Oran, Marie Simone a été rejetée par plusieurs centres de soins et a même été menacée par ses violeurs parce qu’elle avait porté plainte. Une semaine plus tard, elle a été une nouvelle fois agressée. «Je me souviens que les médias et les réseaux sociaux ont immédiatement réagi en faveur de Marie Simone, un élan de solidarité s’est manifesté et la question de la sécurité des migrants a de nouveau été au centre des débats. Ce n’est pas suffisant !» pense Fahd Kessal, politologue, chercheur et fondateur d’un think tank qu’il élabore avec plusieurs universitaires et intellectuels algériens. «On doit prendre les choses au sérieux, c’est-à-dire faire évoluer la loi. L’Algérie doit impérativement changer sa vision sur les migrants et les réfugiés. Ce n’est pas une recommandation, mais une nécessité. Je pense que nos élus devraient s’impliquer davantage», préconise Fahd Kessal, tout en encourageant les représentants religieux à sensibiliser la société. «C’est aussi le travail des imams que de transmettre les valeurs nobles de notre religion : la miséricorde, le partage et la tolérance ! Où est passée la tolérance dans une religion qui ne s’est jamais adressée à un peuple, mais à toute l’humanité ?», dit-il.

«Cette année, j’ai pu inscrire mes deux petits garçons dans une école privée, ils sont acceptés par les enfants malgré la réticence de certains parents d’élèves», avoue Stéphane, un jeune papa origine de Côte d’Ivoire, qui vit depuis quatre ans du côté de Ben Aknoun. «Je ne pensais pas vivre en Algérie. Je ne pensais même pas pouvoir atteindre l’Algérie après la traversée miraculeuse que j’ai faite il y a quelques années. Je veux vivre en Algérie, ce n’est pas si difficile de trouver un emploi sérieux et d’avoir des amis algériens bienveillants.» Pour lui, ce sont les médias qui accentuent parfois la haine. «Une fois, j’ai vu un reportage sur une chaîne privée algérienne. En écoutant le commentateur, j’ai bien cru que l’Algérie était colonisée par des hordes de migrants mendiants. Quelques semaines plus tard, nous avons entendu parler du rapatriement de Nigériens vers leur pays. J’étais terrorisé à l’idée d’être ramassé avec ma famille pour être expédié dans un pays et de recommencer tout de zéro», se rappelle Stéphane. «Un média a rapporté qu’un migrant a été jeté hors de douches publiques car le propriétaire a jugé qu’il n’était pas musulman. Un autre n’a pas voulu vendre ses fruits parce qu’il redoute les chrétiens, surtout quand ils sont noirs. Ces situations absurdes nourrissent la banalisation d’une certaine violence à l’égard des migrants», commente Fahd Kessal. «Notre pays est dans une conjoncture économique compliquée. Même nos jeunes ne veulent pas travailler dans des secteurs comme le bâtiment ou l’agriculture, alors qu’il y a des centaines de milliers d’emplois à pourvoir. Pourquoi ne pas profiter de cette main-d’œuvre qui n’a rien coûté en transport à l’Etat afin de réussir la relance économique, l’impact laisse rêveur», dit-il.

Fondement

L’Algérie a toujours refusé l’installation de camps dans les zones urbaines contraire à sa politique, alors que depuis des années l’Europe insiste sur cette mesure pour une meilleure gestion et contrôle. «En Algérie, nous avons toujours accueilli des étrangers. Les seuls camps installés étaient sur les frontières, notamment au déclenchement de la guerre au Mali, une nécessité pour aider les populations qui s’amassaient à nos frontières, une nécessité et un devoir», explique un agent du Croissant-Rouge algérien qui a supervisé l’installation des tentes à Tinzaoutine et à Bordj Badji Mokhtar. «Nous travaillions dans l’urgence pour installer rapidement les familles qui arrivaient fatiguées, parfois blessées. Nous avons essayé de contenir la majorité, mais certains sont allés vers Tamanrasset, Adrar et même Alger pour se soigner, retrouver de la famille, ou fuir tout simplement», raconte-t-il. «Je me souviens d’un Béninois qui m’avait expliqué sa volonté de vouloir rejoindre notre pays, puis le Maroc afin de rejoindre l’Espagne, il ne savait pas que cette zone était en guerre. Il vit depuis à Oran avec sa fille née dans le désert algérien», ajoute-t-il.

En 2014, la ministre de la Solidarité nationale, de la Famille et de la Condition de la femme, Mounia Meslem, avait déclaré que «la politique de l’Algérie avec ses voisins a toujours eu la solidarité  comme fondement et elle le restera comme tel». La ministre avait également donné des instructions à l’ensemble des walis pour consacrer des espaces au niveau de leur circonscription pour la prise en charge de ces migrants.

Lacrymogènes

Novembre 2015, à Ouargla un incendie a ravagé un hangar où s’étaient installés des migrants. Le bilan était très lourd et faisait état de 18 morts et plus de 50 blessés. Entassés dans ce hangar, les migrants ont été installés afin de ne pas être vus dans les rues de la ville lors du passage du Premier ministre Abdelmalek Sellal pendant la campagne présidentielle de 2014. En mars 2016, à Béchar, une centaine de migrants ont été grièvement blessés par les habitants.

Ces derniers avaient accusé certains migrants d’avoir tenté de violer une petite fille. Plusieurs migrants ont témoigné dans les médias afin de relater les faits et préciser que dès le début des assauts, ils sont essayé d’appeler la police, en vain. Quelques heures après les affrontements, des gaz lacrymogènes sont tombés dans les habitations. Les migrants ont dû quitter rapidement les lieux, sans papiers, sans vêtements et sans argent.

Un bébé avait même dû être hospitalisé en urgence une fois arrivé avec ses parents à Oran. La majorité des migrants ont été déplacés par les autorités à Adrar par bus mobilisés le soir même. D’autres ont rejoint Oran et Alger. Malgré cette violence, certains sont revenus quelques semaines plus tard, car ils avaient encore du travail. La majorité des associations et des ONG avaient dénoncé la montée de la violence et du racisme, ainsi que le laxisme des autorités locales.

Enfermement

«Ce qui s’est passé à Béchar ou à Ourgla démontre que nous sommes incapables de gérer une population étrangère venue trouver refuge dans une terre prête à l’accueillir vu le contexte économique», assure Khadijda Halfaoui, économiste et militante associative. «Nous ne devons pas songer à mettre des migrants et des réfugiés dans des camps, c’est le souhait d’un certain nombre de nos députés et élus. Il faut combattre cette idée», dit-elle.

Dans Xénophobie Business, la juriste et auteure Claire Rodier écrit : «Les camps d’étrangers sont un message à l’opinion des pays ‘‘d’accueil’’ qu’on a nourrie d’une idéologie de la peur, et qu’on rassure en donnant l’impression, par l’enfermement de ceux qu’on lui a désignés comme ennemis, qu’on a les choses en main. Ce faisant, on entretient les craintes, on encourage la perception négative de l’étranger, en pratiquant l’amalgame, ‘‘migrant en détention = migrant délinquant’’, on justifie, dans un cycle sans cesse renouvelé, le durcissement des mesures de lutte contre l’immigration irrégulière, comme la criminalisation des sans-papiers et le renforcement des contrôles aux frontières», précise la cofondatrice du réseau euro-africain Migreurop.

Depuis plus de cinq ans, des initiatives sont mises en place, essentiellement par des ONG, afin de sensibiliser le personnel médical sur la prise en charge des migrants. En 2015, lors de la Journée internationale des migrants, le 18 décembre, un programme d’actions sur la situation des migrants en Algérie voit le jour, intitulé «Plateforme Migration Algérie».

Morale

Cette initiative a été créée par des associations, des ONG et des collectifs dont Caritas Algérie et la Ligue algérienne de défense des Droits de l’homme. «Cette plateforme est une initiative majeure qui va inciter les Algériens qui travaillent dans l’humanitaire de mieux connaître les migrants et les réfugiés, et ainsi mieux en parler autour d’eux», pense Khadijda Halfaoui. «Qu’en 2016, en Algérie, un médecin refuse de soigner un migrant blessé, c’est contraire à toute morale», déplore Khadijda Halfaoui. «Ce comportement doit être signalé auprès des instances concernées à chaque abus jusqu’à ce que cela cesse. Que ce soit un commerçant, un policier, un médecin… tout le monde doit prendre ses responsabilités», ajoute-elle.

Christelle, 33 ans, souhaite créer un collectif de migrants pour se protéger et aider les autres migrants. «Je veux pouvoir parler à mes compatriotes et partager nos fêtes congolaises avec les Algériens pour qu’ils sachent que nous venons aussi de pays avec des traditions, des règles de vie et un savoir-faire.» Soutenue par son ancienne patronne algérienne, Christelle a créé une petite entreprise de prêt-à-porter : «Il y a sept ans, j’ai commencé comme piqueuse dans un atelier de couture à Alger. Aujourd’hui je suis styliste autodidacte, je vends mes créations dans des ventes privées à Alger et à Oran. Pour le moment, ça se passe bien, je compte m’inscrire à un défilé de mode à Tunis.» La tête pleine de projets, Christelle souhaite que ses enfants nés en Algérie accèdent à un enseignement de qualité. «J’ai l’espoir de voir la situation de mes enfants se régulariser avec le temps. Je veux pouvoir retourner chez ma mère, revoir mon pays natal, et revenir dans mon appartement à Alger…»

El Watan Week-end du Vendredi 9 septembre 2016

Faten Hadad a participé au projet «Sans papier sans clichés» de l’Ipao