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Des migrantes font tâche d’huile

Les femmes migrantes prennent une part importante dans l’amélioration du niveau de vie de leurs familles restées au pays. Elles opèrent des transferts d’argent à leur famille même quand leurs revenus sont modestes.

Pour beaucoup de chefs de ménages notamment dans la région de Kayes, le rôle et la place des migrants en général et des femmes migrantes en particulier sont importants. Bassi  Yattabaré, notable à Kayes, pense que les femmes sont plus sensibles aux problèmes de famille. « Si vous avez une fille à Paris ou  aux Etats unis, en plus de tout ce qu’elle fait pour son foyer, elle prend en charge les dépenses de ses parents, il y en a parmi elles, qui donnent du travail à leur frère ». Et d’ajouter  que la vie dans la région de Kayes, est difficile à imaginer sans l’apport de la rente migratoire, qui couvre leurs besoins dans les domaines de l’alimentation, de la santé et de l’éducation. Pour lui et beaucoup d’autres, la plupart des infrastructures existantes (écoles, centre de santé, adduction d’eau) résultent de la rente migratoire.

Selon  Famagan Oulé Konaté, enseignant-chercheur, département de géographie, université de Bamako, dans « La migration féminine dans la ville de Kayes au Mali »,  les envois d’argent constituent la base essentielle de contact avec la famille restée au village. « A Kayes, l’argent des migrants est le grenier des familles. La grande majorité des migrantes font des transferts financiers au profit des familles de Kayes ».

Selon le département en charge des Maliens de l’extérieur, les statistiques ne permettent pas de savoir le poids exact  des transferts opérés par les migrantes par rapport au montant global des transferts estimés à près de 300 milliards F CFA. Mais, les données disponibles à la direction nationale du développement social du Mali montrent que ce sont 1 126 migrants maliens qui ont regagné le pays en 2015 dont 89 femmes (dont 54 revenues de la Libye, 24 du Nigéria et 11 du Gabon).

A l’Association  malienne des expulsés (AME), on note qu’au cours de cette année plus de 1 200 personnes dont 107 femmes ont été rapatriées. Elles viennent notamment de la Libye et de l’Arabie Saoudite.

Malgré tout, certaines femmes migrantes se sont illustrées par des initiatives créatrices comme c’est le cas d’Oumou Coulibaly, présidente de la Coordination des femmes rapatriées de la Côte d’Ivoire. Venue de la Côte d’ Ivoire après la crise de 2002 qui a secoué ce pays, elle n’a pas voulu baisser les bras. Une association des femmes rapatriées a été vite mise sur orbite.

« Le début de toute chose n’est pas facile. Le retour au pays n’avait pas été préparé. Mais quand nous sommes venues, nous avons décidé de nous mettre ensemble pour monter une association. Ce n’était pas gagné d’avance, il y avait plein de problèmes, mais petit à petit, nous avons commencé par la transformation du manioc en « Atiéké ».

Au sein de la petite association, l’organisation semble parfaite : pendant que certaines s’occupent du  lavage de la matière première (manioc), d’autres s’activent à la cuisson sur des fourneaux géants installés sous un grand hangar.

L’atiéké et le poisson sont proposés à la clientèle qui ne se pas rare. « Nous recevons des commandes pour des réceptions. Mieux, l’association exporte son expertise en participant aux foires et expositions au niveau national, voire international », dit Oumou Coulibaly.

Selon Oumou, l’association a d’autres activités différentes de la restauration. «  Nous nous sommes lancées dans l’agriculture à Manikoura où nous exploitons plus de 15 hectares et nous avons une coopérative d’habitat disposant d’un site offert par l’Etat », indique-t-elle

Aujourd’hui, grâce à leur dynamisme et leur détermination, l’association ambitionne de s’octroyer cinq motopompes et cinq motoculteurs de la part du ministère des Maliens de l’extérieur. « Nous allons faire des prêts à la banque pour mettre en valeur nos terres », dit-elle.

Sinaba, la quarantaine révolue,  revenue de Libye est devenue une vraie jardinière  à Bamako. Grâce au soutien de son mari actuellement en Espagne et de l’argent provenant de ses activités, Sinaba reste nostalgique de la Libye où selon elle, rien ne lui manquait. Je parvenais à subvenir au besoin de la famille, alors qu’ici les choses ne marchent pas bien ». Malgré son âge, elle este déterminée à retourner en Libye pour dit-elle fuir à la misère qu’elle vit au pays. « Si j’ai l’opportunité,  je repartirais. Je connais le pays. J’ai des gens de confiance qui peuvent m’aider là-bas ».

Contrairement à Sinaba, Mme Oumou Coulibaly, présidente de l’association des femmes rapatriées de la Côte d’Ivoire, n’éprouve aucun sentiment de regret.  « J’ai a abandonné mes études après le Bac pour rejoindre mon mari, aujourd’hui, je suis dans le monde des affaires et ça marche un peu. Notre réussite, c’est d’avoir pu mettre en commun les compétences  des femmes rapatriées en détresse en 2002 au sein d’une association ».

 

L’autre face de la médaille

A en croire ce cadre de la Délégation générale aux Maliens de l’extérieur,  les montants financiers transférés par les migrantes varient selon le lieu de résidence. Mais ce qui est sûr, est que la migration aurait permis à des femmes d’accroître leurs revenus et d’en faire profiter les familles restées au pays.

Lorsqu’elles arrivent dans les pays d’accueil, les migrantes sont généralement confrontées aux problèmes de l’intégration.

Selon Mme Doumbia Souadou, migrante de retour des Etats unis, Si en France les femmes souffrent beaucoup, aux Etats unis elles travaillent,  « c’est vrai on ne le voit pas dans l’administration, mais elles sont dans l’informel notamment la coiffure, la restauration, le ménage  et je pense que celles qui sont aux USA pour la plupart, participent au développement du pays notamment leur famille, elles investissent tout ce qu’elles gagnent, souvent c’est dans la construction de maisons,  la création d’emploi pour les frères et sœurs »

Mais, reconnait Mme Doumbia, le manque de formation comme c’est le cas de la plupart des femmes émigrées, représente  un facteur  handicapant en matière d’adaptation au nouvel environnement socio professionnel.

Même si elle reconnaît des aspects positifs de son séjour aux USA, Mme Doumbia ne rêve plus d’immigrer surtout pas pour travailler.

Selon Ousmane Diarra, président de l’Association malienne des expulsés, à l’étrange, les femmes maliennes font face à des difficultés culturelles et sociales auxquelles elles sont généralement mal préparées, puisque, dit-il, les femmes maliennes qui  émigrent sont jeunes puisqu’il s’agit généralement d’étudiants ou des femmes récemment mariées. « Elles sont peu qualifiées pour la plupart à l’image des migrants maliens en général où 60 % n’ont pas le niveau du diplôme d’études fondamentales (DEF) »

Reconnaissant l’apport des femmes migrantes dans l’économie, M. Diarra a laissé entendre que  les femmes rapatriées ou expulsées,  arrivent à s’organiser souvent sans l’aide de l’Etat pour monter des microprojets qui leur permettent de s’insérer et même d’offrir des emplois à certains jeunes. « Il faut reconnaitre que les femmes qui viennent sont fortes, elles parviennent s’insérer par des microprojets, elles ont de l’initiative et participent à l’essor économique du pays », a-t-il dit.

Mais force est de constater que l’ensemble des régions du Mali sont concernées  par la migration des femmes, mais la région de Kayes est la plus touchée pour des raisons historiques et culturelles.

En tout état de cause, les opinions de la population divergent sur la migration féminine. Certains chefs de ménage estiment qu’elle n’a que des avantages. Leur argumentation se fonde sur les transferts matériels et les remises d’argents opérés par les migrantes pour leur famille restée à Kayes. D’autres, au contraire, sont farouchement opposés à cette migration féminine, en arguant qu’elle conduirait à la perte du potentiel de reproduction de la population, et accentuerait les disparités économiques entre les ménages qui comptent ou non des migrantes.

Mme Diarra Mariam Savané cadre au Haut conseil des Maliens de l’extérieur chargée des questions de genre et d’autonomisation des femmes, trait d’union entre le Haut Conseil et la gent féminine elle reçoit régulièrement les femmes migrantes de retour et échange avec elles afin de recueillir leurs préoccupations. Elle a joué un rôle central dans l’organisation au mois de juillet dernier lors du premier Forum des Femmes de la Diaspora malienne dont le thème central était « la promotion du genre et l’autonomisation économique de la femme migrante ». Son combat est de faire en sorte que la contribution des femmes ressorte dans les fonds envoyés par les migrants au pays. « Ma grande réussite, c’est le Haut Conseil », déclare-t-elle en rappelant la réussite d’une migrante revenue de la Côte d’Ivoire qui a gagné son pari dans l’agro-business.

Depuis plus d’une décennie, les femmes sont majoritaires parmi les immigrés. Or la vie professionnelle, l’accès aux droits sociaux, à la santé, la participation à la vie publique, toujours plus difficiles pour les hommes, sont encore plus difficiles pour les femmes immigrées. La question de l’insertion professionnelle des femmes immigrées se situe à la croisée des politiques publiques : d’intégration, de lutte contre les discriminations, d’égalité entre les femmes et les hommes et de réduction des inégalités.

Idrissa Sako

Encadré

Des femmes volontaires réussissent

Regroupant au départ 203 femmes, la coordination des femmes rapatriées de la Côte d’Ivoire compte de nos jours 102 membres dont l’âge varie entre 28 et 74 ans. Elles sont majoritairement analphabètes. Il y a des femmes mariées, des veuves et des célibataires.

I.S