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Construction d’une centrale à charbon: De l’électricité dans l’air à Bargny

Bargny crie et s’indigne depuis plusieurs années de l’implantation de centrales à charbon. Ces industries devront s’ajouter à la Sococim qui déverse dans l’atmosphère de la ville, des boulets de poussière. Au sud comme à l’ouest, la mer avance et engloutit des maisons. La vie risque d’y devenir impossible. Avec l’appui d’Ongs, les populations s’organisent et protestent contre ce spectre d’une «condamnation à mort» décrite par le docteur Amath Wade, spécialiste en santé publique. Le Quotidien, en partenariat avec l’Institut Panos, a creusé le fond de ce contentieux lié au refus de l’implantation de ces projets étatiques qui visent à satisfaire la demande en électricité du pays sur la dernière réserve foncière de cette cité de pêcheurs.

Menace de disparition du quai de pêche de Khelcom et du récif. La pêche à brûler au charbon. L’Etat du Sénégal compromet des activités de pêche, au profit de la Compagnie d’électricité du Sénégal qui doit réaliser une centrale à charbon. Au-delà des lotissements, le site de transformation de poissons appelé Khelcom, et le quai de pêche de Ngadjé, sis dans la commune de Bargny, sont sérieusement menacés de fermeture. En dépit des indignations et des inquiétudes sur la qualité de vie à Bargny, le gouvernement sénégalais s’accroche à ses centrales à charbon. La Compagnie d’électricité du Sénégal (Ces), qui doit construire l’une des usines appelée à produire 125 mégawatts pendant 25 ans «avant transfert» (modèle Ppp), a sécurisé une partie de son assiette foncière à plus de 400 m de l’école du quartier Minam. N’empêche, les retards notés dans l’exécution sont réels et les contentieux sociaux persistent. Ces dernières semaines, le lotissement de Minam 1 qui se trouve dans une marge sécuritaire de 500 m, comme l’exige l’article 13 du Code de l’environnement, est en train de faire l’objet d’une délocalisation dans la zone urbaine de Diamniadio. Les négociations avec les habitants du quartier Minam ont abouti à une promesse de mille parcelles. La procédure est conduite par le préfet de Rufisque. Pour défendre ses intérêts, ce quartier a mis en place une commission que préside Abdourahmane Guèye. «Nous sommes les premiers impactés. Minam n’est pas contre l’implantation de la centrale. Nous avons seulement dit que nous n’allons pas cohabiter avec une centrale à charbon. Comme le lotissement de Minam 1 se trouve dans la marge sécuritaire de 500 m, nous avons accepté qu’on nous donne des parcelles ailleurs», renseigne ce policier à la retraite. L’usine de la Ces dont la construction a connu un arrêt à cause d’un différend qui oppose certains de ses bailleurs est située à Ndogal, un site connu des Lébous de Bargny où vit un génie protecteur. La centrale s’ouvre également sur le quai de pêche dénommé Ngadjé, la rivière dite Khouloup et surtout sur Khelcom, un site de transformation de poisson essentiellement fréquenté par des femmes. Le voisinage est très craint.

Khelcom sous la hantise d’une fermeture
Les prochains rejets toxiques relevés dans l’Etude d’impact environnemental et social (Eies) risquent de compromettre les poissons débarqués et la farine artisanalement manufacturée. Selon la présidente de l’Association des transformatrices de Khelcom, Fatou Samba, «plus de 1 000 femmes» y travaillent. Dans le cadre de la construction des deux centrales (celle de Kepco n’a pas encore démarré), cette zone économique devra être déplacée. Où ? La question reste encore sans réponse. «Aucune autorité n’est encore capable de proposer un site de recasement. On nous parlait de 55 ha. Cet espace-là n’existe plus pas à Bargny et l’activité de transformation ne peut pas être éloignée de la mer, des sites de débarquement», indique la dame Samba, par ailleurs conseillère municipale. Des années d’efforts, d’investissements et un marché lucratif sont par ailleurs menacés. «La farine est vendue aux industries de fabrication de l’aliment de volaille. On travaillait dispersement. On a pensé créer notre association qui a un récépissé. Nous entretenons nos foyers avec nos revenus. Des femmes ont construit des maisons grâce à cette activité. La saison normale fait neuf mois. Il n’y a que l’hivernage qui nous poussait à prendre des vacances», apprend-on de cette femme leader.
L’espace a les habits d’un hub économique sous-régional. La farine et le poisson sec sont exportés. Sur place, on retrouve des groupes de travailleurs venus des pays voisins. «Ici, c’est la Cedeao. Chaque mois, nous transportons vingt camions de seize tonnes au Burkina Faso. Le kilogramme est acheté à 350 francs Cfa», s’explique Fodé Abdoulaye Traoré, un Guinéen établi à Khelcom «depuis 2012».

Cheikh Ndiaye : «Je retournerais trois visas pour les Etats-Unis»
Pour produire, les transformatrices ont besoin de coques d’arachide. L’offre existe. Le produit est transporté vers des localités comme Touba. Issa Seck, un commerçant de coques d’arachide, renseigne que le camion, lui, vaut 500 mille francs Cfa. Ses clients ne sont personne d’autres que les femmes et les jeunes qui travaillent le poisson à Khelcom. Daouda Mbodj en est un. Ce président de la Commission de surveillance du Conseil local des pêcheurs  se veut catégorique : «Cette centrale à charbon ne peut pas cohabiter avec nos activités. Elle va polluer la mer alors que nous n’avons que ça. C’est là où on transforme le poisson pêché en mer. La farine est vendue un peu partout dans le pays et en Europe.» Ce pêcheur a peur de voir les efforts mis dans la restauration des écosystèmes marins annihilés par les eaux chaudes qui seront rejetées par la centrale à charbon. La Banque mondiale a financé un récif à hauteur de 200 millions de francs Cfa. Lors de notre visite, des roches étaient sur le point d’être submergées à près de cinq km du quai. Ils doivent servir d’habitats marins. Selon M. Mbodj, le récif est déjà nettoyé. «On a un Comité local des pêches qui veut restaurer les récifs pour une pêche durable. Il y a un manque de poisson à Bargny. Cette centrale à charbon va aspirer 15 000 m3 par heure et l’eau chaude sera rejetée dans la mer», craint-il.
Ce spécialiste de la mer observe la plage conquise par les eaux. L’avancée de la mer prive Bargny Guedj d’aires de jeu. «C’est là où on organise la lutte. On avait ici un terrain de football, un lieu de stationnement des pirogues. Les maisons sont parties. On n’a plus tout ça. Pis, la centrale à charbon est venue occuper un lotissement où on devait déplacer les populations de Bargny Guedj. L’étude d’impact n’a pas été bonne», peste notre interlocuteur. Le jeune Cheikh Ndiaye accuse le régime de Macky Sall d’avoir oublié sa ville. Ce jeune prévient sur le caractère mystique du site ciblé par la Ces. «Les autorités doivent savoir que ce site à un maître. On entend tout ici, parfois des cris de bébé ou d’odeur de cuisine. On fait des offrandes ici. Il y a un secret là où leurs deux tuyaux doivent passer. J’ai pitié de ceux qui vont creuser les canaux. Vous voyez pourquoi ils n’ont pas osé démolir le baobab debout au cœur de la centrale», renseigne-t-il.
M. Ndiaye de revenir sur les péripéties qui ont fait la réputation de Khelcom. «On déversait du poisson ici. Maintenant, on la transforme. Les gens viennent de toutes les régions du Sénégal. On achète les coques d’arachide à 500 mille francs Cfa à Touba. On gagne bien notre vie. Si Macky Sall me donnait trois visas pour les Etats-Unis, je les retournerais. Si cette centrale marche, beaucoup de gens seront emprisonnées à cause des prêts bancaires. Ma maison est assaillie par les eaux à chaque hivernage. Ma parcelle est aujourd’hui occupée par la centrale. Mais elle ne va jamais fonctionner», avertit encore ce jeune entrepreneur.

Procédure d’acquisition de l’assiette foncière
La tension date de huit ans. Sur requête de la Senelec portant sur 120 ha dans le département de Rufisque et dans laquelle elle se propose de réaliser plusieurs projets. Le Président Abdoulaye Wade avait déclaré «d’utilité publique» la centrale BOO de 125 Mégawatts, à travers le décret 2009-849 du 3 septembre 2009. Ce faisant, il avait affecté à la Senelec, un terrain du domaine national d’une superficie de 74 ha 36 a et 43 ca, englobant la mise en place de tuyaux d’amenée et de rejets d’eau de refroidissement à partir de la mer. La Commission de contrôle des opérations domaniales a béni la procédure d’immatriculation au nom de l’Etat le 16 décembre 2008. Cet espace devient le titre foncier 4752/R. La Ces en a acheté 29 ha 99a 95 ca à 1, 450 milliard de francs et détient ainsi le titre foncier 5188/R. Précision leur avait été faite que toutes les impenses dues aux occupants des quelques 74 ha ont été précédemment recensées et payées. Mais les vocations de Khelcom et du quai de pêche n’ont pas été prises en compte. L’acte de vente a été approuvé le 14 octobre 2009 par Abdoulaye Diop, à l’époque ministre délégué auprès du ministre de l’Economie et des finances en charge du Budget. Le document a été cosigné par le directeur de l’Enregistrement des domaines et du timbre, Vincent Max Bidi et le directeur de la Ces de l’époque, Jean-Claude Norland Suzor.
La décision présidentielle avait prescrit l’immatriculation au nom de l’Etat, d’un terrain sis à Bargny-Minam d’une superficie de 10 ha 30a 90 ca. Riche d’un capital de 8,748 milliards de francs Cfa, la Ces a dû casquer.

Notes d’une audience publique
Cette compagnie, dont l’actionnaire majoritaire est la Multinationale suédoise Nykomb synergetics Ab, n’ a ménagé aucun effort pour l’obtention d’un financement de 140 milliards de francs auprès des institutions financières comme la Banque africaine de développement (37%), la Banque néerlandaise de développement (23%), la Cbao (15%), la Boad (25%). Le contrat d’exploitation dure 25 ans. Comme préalable à tout début de construction, l’Eies devait être partagée avec les populations. Validée sur le plan administratif, l’étude en question a fait l’objet d’une audience publique le 28 février 2009. Le procès verbal de cette rencontre présidée par le Préfet de Rufisque de l’époque, Serigne Mbaye, révèle que l’ex-maître de Bargny, Mar Diouf, avait jugé «inacceptable» le site retenu. Il avait recommandé aux promoteurs celui de la «Miferso» qui se trouve à Sendou, faisant 400 ha et qui a une façade maritime. Ce jour, Mohamed Diawara, le consultant qui a réalisé l’Eies (Etude d’impact environnemental et social), y a révélé que neuf sites situés dans les régions de Tambacounda, Kaolack, Dakar, avaient été retenus au départ.
«Pour les deux, les conditions liées respectivement aux problèmes de tirant d’eau et de l’éloignement, qui influaient fortement sur le coût du projet, les avaient disqualifiés», indique M. Diawara, sous le regard du représentant de l’actionnaire majoritaire suédois, Mahi Kane, de celui de la Senelec, Toby Diagne. Malgré les fortes oppositions au projet, la Direction de l’environnement et des établissements classés (Deec) a délivré l’autorisation de construire et d’exploitation n°53 27 à la Ces. C’est le début de la résistance à Bargny.