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Les mariages précoces et leurs malheurs au Niger

La préservation de l’honneur chez certaines familles nigériennes conduit souvent à des mariages précoces. Ces mariages ont des conséquences lourdes comme le divorce, la fistule, la prostitution, etc. »

 

Le mariage précoce n’est plus un sujet tabou au Niger. C’est un fléau préoccupant pour la société et pour les plus hautes autorités du pays en raison de son corolaire de problèmes. C’est notamment les cas de fistules, de la prostitution, et du divorce. Certes en protégeant la pudeur de la femme, c’est l’unité de la famille qu’on protège, c’est l’avenir moral et spirituel des enfants qu’on garantit, c’est la société tout entière qu’on bâtit sur des bases solides. Cependant, la préservation de l’honneur ne doit pas être synonyme de malheur pour la jeune fille ou la jeune mère, explique Mme Ba Fanta Traoré, responsable du Centre des femmes atteintes de la fistule de l’ONG Dimol-Niger. «  Les jeunes filles mères et adolescentes que nous accueillons dans ce centre ne méritent pas les souffrances inimaginables qu’elles endurent du seul fait des mariages précoces ».

On ne le dira jamais assez. Pour une population estimée en 2015 à 19 millions 100 000 habitants, le Niger a un indice synthétique de fécondité de 7,6 enfants par femme et un taux d’accroissement naturel de la population de 3,9%. Cela sans compter que 49,2% de la population ont moins de 15 ans, 58% ont moins de 19 ans, 67% moins de 24 ans et les adolescents de 10 à 14 ans représentent 14% de la population. La population du Niger est donc jeune d’où la nécessité de faire face aux mariages précoce qui concerne principalement les jeunes filles âgées de moins de 18 ans.

A la vérité, la majorité des parents ne scolarisent pas et ne maintiennent pas leurs filles à l’école jusqu’à la fin du cycle secondaire. Cela ne va pas sans conséquences sur la scolarité de la jeune fille qui est généralement plus compromise en milieu rural qu’en milieu urbain. Cette situation est aggravée par le fait que la grande majorité des parents marient leur fille avant 18 ans (76,3%) et n’utilisent pas les services de santé reproductive y compris les méthodes contraceptives modernes (15%).

Zeinabou Dicko, femme atteinte de fistule mais en cours de réinsertion socio-économique, témoigne : «Ma maladie (la fistule) a duré maintenant six ans. J’ignorais la cause quand jetais isolée dans mon village du fait de la puanteur de mes urines. C’est arrivé à Niamey que j’ai compris que mon mariage à 16 ans alors que mon conjoint en avait 42 était la cause de cette maladie ».

 

Mariage précoce pour préserver l’honneur : un privilège ou un paradoxe ?

 

A cela, répond Mme Djafarou Mariama Lare, présidente de l’Ong LUCOFVEM, « c’est surtout la perception du sens de l’honneur dans nos coutumes et mœurs, l’obligation morale de préserver à tout prix son honneur et celui de la famille qui plonge bien des jeunes filles dans les mariages précoces avec tout ce que cela implique…. Par exemple, jusqu’ici au Niger, quand une fille prend une grossesse hors mariage, c’est tout l’honneur de sa famille qui prend le coup d’où les mariages précoces dans certains milieux quand bien même la jeune fille est à l’école. ».

Privilège ou paradoxe ? Il est certain que bien de familles préfèrent ‘’sacrifier’’ la scolarité d’une jeune fille que de la voir avec un bébé hors mariage ou perdre sa virginité avant son mariage. Dans tous les cas, c’est à la famille qu’incombe la responsabilité voire l’obligation de mettre la jeune fille en cours de scolarité à l’abri de la tentation et des mauvaises fréquentations. Tout part de l’éducation qu’elle reçoit.

 

Les limites du système de santé : un facteur aggravant des mariages précoces

 

Il s’ensuit que même lorsque les parents retardent le mariage de leurs enfants jusqu' à l’âge de 18 ans au moins, les femmes et les adolescentes sont très réticentes lorsqu’il est question d’utiliser les services et les produits de santé reproductive (SR) et planification familiale (PF) y compris les méthodes contraceptives modernes. Eu égard à l’immensité du territoire (1.267.000 Km2) beaucoup de localités du pays ne disposent pas des services de santé adéquats pour assister les femmes en SR et en PF.

Selon Mme Bachir Safia de la CONGAFEN, contrairement à ce qu’on pense, le mariage précoce » ou « mariage d’enfant » au Niger ne concerne pas seulement la jeune fille. C’est un problème qui concerne aussi le jeune garçon que la famille marie (verbalement) avant l’âge de 18 ans. C’est une pratique fréquente surtout en milieu rural le plus souvent sans le consentement des concernés ».

Mme Mariama Moussa présidente de Femmes et enfants victimes de violence familiale (FEVVF), constate que dans les faits la réalité est toute autre parce que le mariage des enfants est féminisé. En effet, les données, issues du dernier EDSN 2012 au Niger montrent que l’âge au mariage chez les adolescentes (15,7 ans) est plus précoce d’environ 9 années que celui des garçons qui est 24,6 ans (largement au-dessus de l’âge légal de 18 ans). Autrement dit, les garçons ne sont pas contraints au mariage. En plus, ils sont peu enclins à se marier précocement car une fois mariés, ils sortent de la charge parentale pour être eux-mêmes entièrement responsables de leur propre famille.

A ce propos, Harouna Fodi de l’Association Islamique du Niger rappelle la « S.4 V.4 » portant sur le droit au choix du mari : « L’Islam attache du prix à la nécessité d’acquérir l’accord et l’agrément de la femme et de la jeune fille en ce qui concerne son futur mari. Il n’est pas conseillé de sceller des liens de mariage dans lequel la femme ou la jeune fille n’a pas librement exprimé son choix. » Pour sa part, Mahaman Bachir Elh. Oumarou, théologien, nous rappelle la jurisprudence du changement de blâmable qui, dit–il, est une logique jurisprudentielle qui mesure le degré d’un acte ou d’un comportement par rapport aux degrés de ses inconvénients et conséquences. C’est l’exemple du mariage précoce et autres sujets connexes tels que les mutilations  génitales.

        

Mariages précoces au Niger : une évolution lente mais progressive

 

L’évolution du mariage des enfants au Niger de 1992 à 2012 indique que l’âge médian à la première union a très peu évolué, passant de
15,1 ans en 1992 et 1998 à 15,5 ans en 2006 puis 15,8 ans en 2012 (EDSN-MICS). L’évolution est donc très lente mais tout de même progressive. Ce qui veut dire que les résultats sont insuffisants et que des efforts plus importants doivent encore être consentis pour mettre fin au  mariage des enfants au Niger.

Pour Cheikh Abdoulatif «ce n’est pas pour mépriser la femme et la dénigrer que l’Islam lui prescrit de cacher les charmes de son corps en dehors de son foyer conjugal ou familial, mais c’est pour la protéger contre l’assaut des caprices, des mauvaises langues, des regards malsains». En clair, cela renvoie à l’obligation morale et spirituelle aussi bien pour la femme que pour l’homme en Islam de préserver son honneur afin de ne pas tomber dans « le pécher » (l’adultère, la délinquance, la prostitution etc.)

Au plan communautaire rapporte Harouna Fodi de l’Association Islamique du Niger, « l’Islam a accompli une véritable révolution culturelle et sociale. Il a clairement indiqué quelle devrait être, dans la société, la place des jeunes filles, des épouses et des mères. A propos des jeunes filles, les parents ne doivent pas montrer leur préférence pour l’un de leurs enfants sur les autres. Le prophète (PSBL) a dit : « Celui qui a une fille et qui ne l’enterre pas vivante, qui ne l’insulte pas, et qui ne favorise pas son fils sur elle, Dieu le fera entrer au Paradis. » (Ahmad Ibn Hambal). Il poursuit que garçons et filles ont droit au même amour.

Cette équité, qui place chacun des enfants sur le même pied d’égalité dans le cadre familial, il faudra attendre dix siècles pour qu’elle se réalise en occident. Jusqu’au XVIIe siècle en effet  on considérait qu’il était normal d’avantager un fils, généralement l’aîné. A comprendre Harouna Fodi, la femme est la mère de l’homme, sa sœur, son épouse, sa fille, l’âme auprès de laquelle il goûte la paix et découvre le sens de la vie.

Abdoulaye Abdourahamane Ahamadou

Journaliste Actu-Niger (avec le soutien de l’Institut Panos Afrique de l’Ouest)